Le pôle santé de la médiation de la République a reçu près de 5 000 appels depuis son installation il y a un an, le plus souvent à cause d’un manque de communication entre médecins et patients. S’il appelle les médecins à plus de transparence, le médiateur Jean-Paul Delevoye juge dans le même temps certaines attentes du corps médical très légitimes face à la peur du procès. C’est au pouvoir politique de prendre ses responsabilités, dit-il.

QUOTIDIEN – Les médecins sont-ils de bons communicants ?

JEAN-PAUL DELEVOYE – Pas vraiment. Jusqu’à présent, la peur du procès a amené le principe de précaution et la prime au silence. Les professionnels se sont focalisés sur la technique au détriment du relationnel. Or les gens aujourd’hui n’acceptent plus de décision sans la comprendre. Quand un TGV s’arrête, on veut savoir pourquoi. C’est pareil en médecine. Les Français sont prêts à entendre la vérité, ils ne veulent pas qu’on triche avec eux. La base de la médecine, c’est le lien de confiance entre médecin et patient. Ce lien a été fragilisé. La médiation est là pour le reconstruire, mais ce n’est pas encore entré dans les mœurs. La France n’a pas une grande culture de la médiation, mais plutôt la culture du procès. Il faut revenir à une dimension plus humaine. L’hôpital est un lieu de souffrance. Si on rajoute de la souffrance en ne répondant pas à vos interrogations légitimes, forcément, un soupçon s’installe. Soupçon d’abus d’autorité, ou soupçon d’abus de réclamation : les deux acteurs s’accusent.

La loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires) vise à rétablir l’égalité dans l’accès aux soins au plan financier et géographique. L’accès à l’information est aussi un facteur clé. Les Français sont-ils correctement informés en matière de santé ?

Une chose est sûre, les Français ont des questions. Depuis le transfert de la mission d’information sur les infections nosocomiales de la HAS [Haute Autorité de Santé] vers la médiature, le 1er janvier 2009, les appels téléphoniques ont triplé. Les gens appellent plus facilement le médiateur car c’est une structure indépendante du corps médical. Il y a un besoin de dialogue et de compréhension. L’inégalité face à l’information est flagrante pour les soins programmés. Celui qui a de l’argent et des relations aura accès à un service d’excellence. D’un établissement à l’autre, la qualité des équipements et des équipes est très variable. Les rapports de certification des établissements de santé ne sont pas très lisibles pour le grand public. Vouloir mettre des indicateurs de mortalité et de morbidité [comme le prévoit la loi HPST, NDLR] ne paraît pas choquant si cela a pour but de réduire ces inégalités et de pousser vers l’excellence. Ces indicateurs, de mon point de vue, serviront surtout au médecin traitant, qui a la charge d’orienter ses patients. C’est lui qu’il faut mieux informer. Il faudrait aller plus loin que l’indicateur collectif par établissement, et donner des indicateurs par service. Or on n’en est pas là. De même, il y a encore du chemin à faire sur la culture du signalement : il y a encore une résistance chez les médecins. « Tu fragilises le service, tu nuis à la carrière du supérieur », entend-on, alors que le signalement permet d’éviter le renouvellement des erreurs. Les freins sont connus. Le médecin trouve que c’est chronophage, il a peur que les informations signalées soient un jour saisies par un juge d’instruction si le patient porte plainte. C’est une vraie angoisse, légitime. Aujourd’hui, les pouvoirs publics n’ont donné aucune réponse à cette question.

En 2008, vous aviez demandé une réforme des expertises médicales judiciaires. Avez-vous été entendu ?

Les semences sont toujours dans le sol, la récolte n’est pas arrivée. Nous avons fait toute une série de propositions, mais à l’évidence, le problème reste posé. Y a-t-il aujourd’hui la garantie d’avoir les bons experts au bon endroit ? La réponse est non. En France, il y a un problème des expertises médicales judiciaires. Je ne m’en satisfais pas, et je ne désespère pas de faire avancer le dossier. Je suis en contact avec la Chancellerie, des parlementaires, des professionnels qui continuent de nous écrire, et qui eux-mêmes demandent une modification législative. Tous les ans, je reviendrai à la charge. D’autant que le vrai problème de la santé, demain, sera celui des assurances.

En tant que médiateur, comprenez-vous la colère et la grève des obstétriciens libéraux au sujet, justement, de leur assurance ?

Evidemment, je les comprends ! Après 30 années d’activité sans pépin, vous vous retrouvez à la retraite, et crac, une condamnation, 4 millions d’euros d’indemnités à verser, or votre assureur ne vous couvre qu’à hauteur de 3 millions d’euros. Vous êtes ruiné. C’est une question que l’on pose depuis des années. Aujourd’hui, tout le monde parle de maîtrise des dépenses de santé. Le financement de la santé est un sujet complexe, certes. Mais nous disons que l’assurance des professionnels, leur couverture, est un sujet aussi complexe. Ce sera un sujet majeur à très court terme. Les anesthésistes ont résolu le problème grâce à de la prévention et au respect des procédures. C’est intéressant d’en tirer la leçon. Pour l’obstétrique, le problème reste entier. Je me sens concerné, en tant que médiateur, car ce problème crée une inéquité : les obstétriciens répondent à un vrai besoin de société, mais ils sont traités de façon inéquitable par rapport à d’autres professionnels de santé. On doit y apporter une réponse, au travers, pourquoi pas, de la solidarité nationale. Sans cela, on donne la prime au chirurgien esthétique plutôt qu’à celui qui met au monde les enfants. Le médiateur est actif sur le dossier. On reçoit des experts, des professionnels, et on essaye d’interpeler le politique. Le problème des décideurs aujourd’hui, c’est leur vision de court terme. Il faut convaincre les associations de victimes que la mort ne peut pas être un facteur d’enrichissement. Comment protéger le médecin face au risque d’aléa et de ruine personnelle, tout en garantissant l’équilibre financier de l’assureur, tout en réparant correctement la victime ? L’équation est posée, donnons nous le temps d’y répondre.

PROPOS RECUEILLIS PAR DELPHINE CHARDON

Le Quotidien du Médecin du : 16/02/2010

Commentaires sur: "LES RELATIONS MÉDECINS-PATIENTS VUES PAR LE MÉDIATEUR. Jean-Paul Delevoye : communiquez !" (1)

  1. je pense effectivement pourquoi ne pas trouver la réponse à l’ aide de la solidarité nationale. Il ne faut voir ce problème ni ses solutions à court terme. Il faut vraiment que les décideurs se donnent le temps d’y répondre

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